Victorieux du Prix Tremplin de coopération bilatérale en recherche – ASEAN décerné par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et l’Académie des sciences, Pr Franck Lavigne et Dr Danang Sri Hadmoko représentent particulièrement le fruit de la coopération scientifique franco-indonésienne. La Coordination Scientifique et Technologique de l’IFI a alors interviewé Pr Lavigne pour vous en dévoiler un peu plus…
C’est sur l’Indonésie que le Professeur Franck Lavigne a jeté son dévolu scientifique depuis une trentaine d’années. La géologie et les risques naturels, plus précisément les éruptions volcaniques et tsunamis, sont au centre de ses travaux de recherche. Son objectif est alors de déterrer les événements passés pour mieux comprendre et appréhender les risques futurs. Mais lorsque la lecture du paysage géologique devient floue à cause de manque de données des anciennes catastrophes naturelles… comment spatialiser ? La stratigraphie, pourtant essentielle pour mieux connaître les territoires et prévenir des catastrophes naturelles restait donc, par souci de collecte de données, inapplicable dans certaines localisations. C’est de cet axiome que lui ai venue l’idée de travailler sur une méthode encore non utilisée en géologie (i.e. cartographie des strates superficielles du sous-sol et reconstitution des topographies pré-éruptives)… la science participative ! Son projet nommé INDOPAST (reconstructing INDOnesian landscape evolution using local knowledge: PArticipatory STratigraphy), reflétant particulièrement les avancées possibles grâce à la coopération scientifique franco-indonésienne, a mené l’équipe à faire partie des lauréats du Prix Tremplin ASEAN 2023.
Professeur Lavigne nous explique…
LE PROJET
KF : Avant tout, si vous deviez résumer vos motivations en une seule phrase, vous diriez… ?
FL : Les connaissances de la population locale sont une richesse scientifique exceptionnelle, mais qui est sous-valorisée voire dévalorisée.
KF : Pouvez-vous nous résumer votre projet et l’émergence de l’idée ?
FL : Les populations locales possèdent un grand savoir sur l’histoire environnementale de leur territoire. En étudiant les traces de l’éruption volcanique du Samalas à Lombok datant de 1257 dans les strates du sol (notamment décelables par la présence de pierres ponces résultant de fragments de lave éjectée), je me suis rendu compte que les connaissances du terrain des puisatiers accéléraient ma recherche. J’ai alors décidé de cultiver ces ressources de savoir local de façon plus formelle en créant le projet INDOPAST. Sa finalité est ainsi de reconstituer l’évolution des paysages indonésiens en palliant la carence de données géoscientifiques par la connaissance locale du sous-sol. Grâce à l’utilisation de stratigraphie participative, notre ambition est de démontrer, statistiques à l’appui, que les données issues de sciences sociales peuvent être utilisées pour complémenter les données provenant des géosciences. Nous souhaitons ainsi encourager l’émergence de projets très interdisciplinaires.
LA SCIENCE PARTICIPATIVE
KF : Comment motivez-vous la science participative en Indonésie ?
FL : Les populations locales se sont montrées très curieuses et spontanément motivées à coopérer. Elles sont avides de (re)découvrir l’histoire de leur territoire et notamment de faire de lien avec leurs légendes. C’est un échange qui s’effectue à double sens puisque les informations géologiques collectées peuvent également aider les puisatiers dans leur travail, et parfois même avertir sur les zones à risques naturels découvertes.
KF : Quels effets tirez-vous de cette nouvelle méthodologie sur les populations locales ?
FL : La plupart des populations locales est déjà informée des risques de catastrophes d’origine naturelle, notamment des éruptions ou tsunamis, présentes sur leur lieu de vie, mais ce n’est pas le cas de toutes. Il y a donc un travail sous-jacent d’information des risques.
KF : Comment gérer les biais liés à l’approche participative ?
FL : Les biais liés à l’approche participative peuvent s’avérer plus importants que dans d’autres études. C’est pourquoi nous allons vérifier le niveau de connaissances des locaux sur la stratigraphie en leur posant des questions sur des zones où nous avons déjà des carottages effectués. Il s’en suivra une analyse statistique. Nous avons déjà eu l’occasion de constater que leurs connaissances en termes de type de substrat et de profondeur étaient assez précises. Il faut noter que le projet ne comporte pas 100% de sciences participatives puisque nous collectons également des données par nous-mêmes.
LA COOPERATION INDONESIE-FRANCE
KF : INDOPAST peut-il servir d’exemple pour encourager la coopération franco-indonésienne à différentes échelles ?
FL : Bien que les sciences participatives soient couramment utilisées dans d’autres domaines scientifiques et dans d’autres pays, elles ne sont ni très connues ni très valorisées en Indonésie, malgré le potentiel. Il existe également un débat sur l’efficacité des sciences participatives avec les chercheurs rattachés aux sciences dures. L’idée est donc de démontrer que l’on peut se fier à cette méthode plus que ce que nous pensions, et de valoriser l’échange procuré. De plus, cette méthode ne nécessitant pas d’investissement financier important, il sera aisé de la répliquer sur l’ensemble du territoire indonésien.
KF : Quels bénéfices tirons-nous de la coopération scientifique franco-indonésienne pour faire avancer la recherche selon vous ?
FL : L’Indonésie est un laboratoire unique : ce pays comporte le plus grand nombre de volcans, les plus impressionnantes éruptions de l’histoire (Samalas, 1257 ; Tambora, 1815 ; etc.), ainsi que les plus nombreux et parmi les plus gros tsunamis observés (Aceh, 2004). Les chercheurs captivés par ces domaines, tout comme moi, sont donc facilement attirés ici. Six doctorants d’UGM (Universitas Gadjah Mada, à Yogyakarta) ont déjà fait une thèse dans mon laboratoire, dont le co-porteur de ce projet, Dr Danang Sri Hadmoko. Nos liens de recherche franco-indonésienne sur ces sujets sont donc très forts et durables, comme l’attestent les dizaines de publications internationales communes. C’est idéal pour faire avancer les connaissances scientifiques.
LE PRIX TREMPLIN ASEAN 2023
KF : Vous avez participé puis été récompensé du Prix Tremplin, quelles sont vos impressions ?
FL : C’est une véritable reconnaissance et bien sûr une aide financière non négligeable. Je ne m’étais pas rendu compte de la valorisation dont nous allions bénéficier avec Dr Danang Sri Hadmoko grâce à la médiatisation des chercheurs, de leurs travaux et de l’Indonésie. Il y a quelques années, nous avons bénéficié du financement de Science&Impact pour un projet à Bali, c’est donc dans cette même lignée et en partie issu de cela que nous avons constaté que nous avions une fois de plus le profil. C’est tout naturellement que nous avons ainsi postulé pour le prix Tremplin. Nous sommes également heureux de la reconnaissance de notre coopération forte et enracinée avec des partenaires indonésiens, ici UGM.
LE PROGRAMME DE BOURSE SCIENCE&IMPACT
KF : Que pouvez-vous nous dire sur votre participation à Science&Impact ?
FL : Science&Impact est selon moi une superbe initiative. Les bourses de recherche sont habituellement attribuées en fonction du sens du travail scientifique en lui-même. L’originalité de Science&Impact est de particulièrement appuyer sur l’importance de l’impact (bien qu’évidemment déjà évoqué dans tout projet, mais pas aussi explicitement qu’ici). En effet, les petits projets peuvent avoir de gros impacts, en voilà la preuve avec INDOPAST.
LES AMBITIONS SCIENTIFIQUES DU PROJET
KF : Où espérez-vous que cette nouvelle méthode puisse amener l’étude géologique en Indonésie ?
FL : J’ai passé une importante partie de ma carrière à travailler sur les risques au présent, mais finalement nous manquons surtout de données sur le passé. Je me suis alors orienté depuis une dizaine d’années sur les grandes catastrophes de l’histoire indonésienne, qui s’avèrent d’une grande aide pour prédire les catastrophes futures. L’histoire éruptive des volcans indonésiens, hors volcans « vedettes » comme le Merapi, est encore peu connue. Cependant, le risque est réel chez les volcans en sommeil prolongé de plusieurs siècles, leur éruption pouvant être très sérieuse le jour où elle se déclare. Je pense qu’il est donc important de mieux connaître le rythme des éruptions pour mieux s’y préparer.
Aussi, j’ai eu l’opportunité de rencontrer différents archéologues balinais. Ils sont globalement très demandeurs d’informations sur mes études et je suis également très demandeur d’informations provenant de leurs anciens rapports. La coopération entre chercheurs français en géographie physique et chercheurs indonésiens en archéologie (i.e. la géoarchéologie) peut s’avérer très symbiotique et ainsi permettre une meilleure connaissance du territoire sous nos pieds afin de faire progresser l’analyse des risques d’origine naturelle.
Les mérites de la coopération scientifique franco-indonésienne n’ont donc pas fini de faire parler d’elle !
Vous l’aurez constaté, afin de donner un coup de pouce aux chercheurs dans leurs travaux de recherche franco-indonésiens, la Coopération Scientifique et Technologique de l’IFI leur ouvre la participation à différents programmes et bourses tels que PHC Nusantara, les SSHN ou encore Science&Impact. Ce dernier a ainsi bénéficié au Professeur Franck Lavigne accompagné de l’une de ses doctorantes pour une partie de ses recherches en géomorphologie. Nous sommes fiers que notre programme Science&Impact ait pu contribuer à cette avancée scientifique bilatérale, récompensée du Prix Tremplin ASEAN 2023.
N’hésitez pas à postuler à nos programmes, à en parler autour de vous et à partager ce lien : https://www.ifi-id.com/fr/appels-a-projets/#/